L'approche

GROUNDED CHANGES

Pour de profonds changements

Le but premier de l’approche Grounded Changes est d’installer des changements endogènes et durables, en particulier dans la façon dont les ressources et les territoires sont collectivement gérés et utilisés. Au coeur de chaque territoire, il y a des hommes et des femmes qui vivent de leurs terres, en s’appuyant sur leurs expériences pour trouver des formes d’entente qui leur permettent de s’en sortir tous, dans un environnement de plus en plus incertain. Aujourd’hui, face à de nouveaux défis, à la fois écologiques (changements climatiques), économiques (croissance démographique), mais aussi, et peut-être surtout, politiques, quels modèles de société poursuivre ?

Nos outils ne font que les accompagner pour qu’ils prouvent, et se prouvent, que les choix d’organisation ou de société qu’ils poursuivent (voir en particulier paragraphe ci-dessous) sont tout aussi réalistes, raisonnés, et durables que d’autres. Cela les aide certes à consolider leurs propositions vis-à-vis des pouvoirs et savoirs englobants, mais, surtout, leur donne la capacité de reproduire d’eux-mêmes ces ateliers partout, et de lancer ainsi des échanges et des rapprochements entre localités, entre communautés… En partageant ce « jeu » avec des localités et communautés de diverses régions du monde, l’espoir de voir émerger une vision « horizontale », des choix de société et des façons concrètes de les poursuivre.

Des résultats parfois radicaux

Voilà le type de résolution collective auxquelles des participants peuvent ainsi arriver, et pour lesquelles, grâce à la pratique du jeu de simulation, ils bâtissent des mécanismes opérationnels :

La terre n’est pas une ressource

« Resource » signifie quelque chose qui peut être exploitée. Et des droits d’usage et de propriété existent pour organiser cette exploitation. Mais un autre point de vue est que la terre est un élément « public », commun à tous et ne peut être approprié… même pour le partager. Dans cette perspective, les règles sur l’accès et l’utilisation de cette terre ont pour objet de permettre à chacun de vivre sur cette terre tout en la préservant pour le futur. Au Sénégal, le jeu TerriStories a été utilisé par les paysans avec cette idée en tête, pour imaginer les règles opérationnelles permettant d’établir sur le terrain, concrètement, cette vision des choses… et soutenir ainsi leur combat pour faire reconnaitre cette vision du futur et de leur terre …La faire reconnaitre au Sénégal mais aussi la partager au-delà.

Une nouvelle pratique de démocratie délibérative ?

En façonnant puis jouant des règles pour « s’en sortir ensemble » les participants aux séances de jeu TerriStories développent des formes de décision collective qui semblent, pour certains sociologues, de nouvelles pratiques de démocratie délibérative : préserver la diversité de points de vue tout en parvenant à avancer ensemble, à partir des valeurs partagées. Le jeu aide en effet à s’accorder sur de grandes aspirations communes (« vers où veut-on vraiment aller ? ») tout en préservant continuellement les différents points de vue (« comment y parvenir ? ») sous forme de scenarios de jeu, pouvant toujours être ajoutés, testés.

D’un État de droit à un État de droits

La dimension multi-niveau du jeu (rassemblant dans un même plateau de jeu différents niveaux territoriaux et leurs enjeux) pousse les joueurs à imaginer de nouveaux équilibres entre central et local : des communautés locales qui fixent collectivement les valeurs communes et les priorités pour le futur (mais toujours en ayant à gérer les conséquences sur les niveaux englobants) qui vont cadrer les politiques publiques, tandis que le pouvoir central soutient « seulement » les échanges et la coordination entre les territoires locaux de façon à faciliter l’émergence des valeurs communes et la complémentarité… mais sans plus fixer de lui-même et pour tous les choix de futur (et les valeurs les sous-tendant) …Ce qui a amené un juriste à qualifier cette proposition locale radicale d’État de droits !

Un cadre d’action pour le changement

Pour obtenir de tels changements à long terme et à larges échelles, une approche finement stratégique est alors indispensable. Son premier pilier est ce support participatif qui laisse vraiment les gens définir eux-mêmes les changements qu’ils souhaitent (voir la page TerriStories® : le jeu). Mais le jeu à lui seul ne suffit pas : il doit être mis en œuvre au sein d’une approche stratégique plus globale (voir paragraphes suivants), finement réfléchie afin de lever progressivement les différentes contraintes sociales et institutionnelles qui peuvent bloquer les changements impulsés par les participants durant les sessions de jeu. Pour parvenir à des changements si profonds, ascendants (du local vers les niveaux englobants) et durables, une approche spécifique pour l’accompagnement des dynamiques sociales a été progressivement affinée en vingt ans d’expérience. Elle s’appuie sur trois principes:

D’abord au service d’une dynamique locale

Quel que soit le sujet, la clé de la réussite laisser les participants choisir eux-mêmes la question à traiter. Mettre d’abord et avant tout la démarche au service des priorités et préoccupations que vont exprimer les acteurs locaux est la façon la plus efficace de développer une action collective efficace et durable. Leurs priorités diffèrent des vôtres ? Avec notre façon de les aider à traiter leur premier problème (cf. le jeu TerriStories), ils vont progressivement identifier les éléments, interactions et contraintes majeures de leur situation, en construisant progressivement leur propre représentation systémique du contexte donné. Ainsi, quel que soit le point d’entrée, l’enjeu qui vous semble prioritaire dans leur situation finalement émergera … ou votre propre diagnostic évoluera.Le premier principe de Grounded Changes est donc de se mettre d’abord au service des priorités locales, et de donner aux acteurs la possibilité de progresser par eux-mêmes, ensemble, vers des sujets de plus en complexes les concernant. Du coup, une étape préalable à chaque fois indispensable est d’adapter notre approche, nos méthodes, et nos outils aux enjeux locaux et aux dynamiques collectives et institutionnelles existantes. Un outil spécifique a été construit pour aider à cela : le Rainbow Spiral.

Mobiliser avant tout l’expérience locale

Quel que soit le domaine, il est toujours essentiel de mobiliser d’abord la connaissance, l’expérience et la pratique locales avant d’introduire de nouvelles informations. Il est extrêmement rare que les acteurs locaux n’aient pas déjà suffisamment de ressources pour commencer à traiter la question donnée. Or, c’est le seul moyen de modérer suffisamment la trop forte influence de nos « vérités » et nos connaissances, qui empêche un point de vue endogène d’émerger, donc une dynamique collective durable et autonome de s’installer. En fait, la connaissance « externe » ne sera mobilisée que seulement si et quand les acteurs la réclameront, durant le processus, pour enrichir leur simulations collectives (voir Une science « après » le développement).
Cependant, prendre convenablement en compte la connaissance et l’expérience locales est un énorme défi : impossible d’y parvenir correctement uniquement en utilisant des cartes, des graphiques, des écrits… Même s’ils sont réalisés par les acteurs, ces outils ont été conçus pour restituer une connaissance, alors que l’expérience pratique et sociale dont il s’agit se vit, se pratique, mais ne peut être couchée par écrit sans être dénaturée. Mais en même temps, procurer aussi aux acteurs locaux cette autre connaissance (en particulier scientifique) est un second objectif important, et qui ne peut de son côté pas être correctement exprimée autrement que sous ces formes-là. Par conséquent, l’outil idéal est celui qui permet à la fois toutes les formes libres d’expression (oral, débats non structurés, expressions corporelles…: voir Vers un langage commun ?), tout en conservant la structuration logique d’une connaissance scientifique : autrement dit, un jeu.

Objectif mesuré, action ambitieuse

Obtenir à partir du local des changements profonds et durables de toute la société est si ambitieux que pour y réussir il est indispensable d’être pragmatique, donc raisonnable.
Mesuré : se fixer pas après pas des objectifs raisonnables pour lesquels nous sommes sûrs d’avoir tous les moyens pour les atteindre assez rapidement. Donc pas immédiatement l’objectif final, mais, successivement les différents changements nécessaires vers cet objectif final …et engager ainsi une dynamique autonome sur le chemin à atteindre à terme.
Ambitieux : pour atteindre ces objectifs modérés, étape par étape, mettre en oeuvre par contre toutes les actions nécessaires (quelle que soit leur nature et l’échelle à laquelle elles se situent) pour atteindre tous les acteurs clés (quelle que soit leur position) auprès desquels quelque chose doit « changer » pour que l’on soit sûr que l’objectif visé soit atteint de manière durable …Plus facile à dire qu’à faire ! C’est pourquoi un outil d’analyse stratégique spécifique (voir paragraphe ci-dessous) a été conçu pour aider l’animateur ET les participants locaux à co-construire ensemble une stratégie fine et pragmatique pour y parvenir.

Rainbow Spiral : un outil pour l’action stratégique

Pour chaque situation rencontrée, quels sont précisément les obstacles qui empêcheraient d’atteindre le premier objectif fixé de changement, et comment les neutraliser ? Pour y parvenir, quels acteurs clés et institutions doit on parvenir à faire évoluer ? Quelle connaissance, et sous quelle forme, est indispensable pour démarrer cette évolution ?
Ce questionnement qui peut sembler évident exige pourtant une longue réflexion en plusieurs étapes, « en spirale », si l’on veut parvenir à des réponses suffisamment précises et opérationnelles : à imaginer l’ensemble d’actions de nature diverse (depuis le lobbying jusqu’à un atelier de diagnostic), à identifier la combinaison la plus pertinente de méthodes et d’outils d’accompagnement. L’approche Grounded Changes n’est pas basée sur un seul outil participatif, présupposé parfait, qu’il s’agirait d’appliquer aveuglément quel que soit le contexte et l’enjeu. Le choix de la combinaison la plus pertinente de méthodes ne peut se faire qu’à partir de l’analyse du contexte d’intervention et ne peut pas être décidé a priori. Par exemple, si un apport de nouvelles connaissances n’apparaît pas indispensable pour amorcer localement le changement, alors les outils utiles pour transférer de la connaissance aux acteurs locaux n’ont pas à être utilisés aux premières étapes de la démarche

Science et société

Pour une mutation de la science au service du développement

Intégrer la connaissance scientifique est une tâche toujours délicate. Toute l’efficacité de Grounded Changes repose sur le caractère « interne » des diagnostics et des solutions qui émergent. Il n’est du coup pas évident du tout d’introduire dans cette dynamique des points de vue « externes » (tel qu’une connaissance scientifique) sans affecter tout le processus.

« Externe » signifie ici un « savoir », un « diagnostic » (tous considérés, dans cette approche qui respecte chaque position, comme un « point de vue ») qui n’est pas celui d’au moins l’un des joueurs.

Bien sûr, introduire ce type de connaissance « externe » peut être résolu en introduisant un nouveau joueur portant cette connaissance (cf. règles du jeu TerriStories). Cependant, les scientifiques sont souvent réticents à traduire leur connaissance en de simples règles qualitatives (du jeu), car cette forme de synthèse n’est pas usuelle dans leur pratique. Quelques progrès ont été faits (voir par exemple l’approche Companion Modelling), mais la réticence est encore forte. De plus, au-delà de cette difficulté méthodologique, certains acteurs-clés (en particulier les scientifiques et les décideurs) ont toujours du mal à considérer leur « objectivité » et « universalité » seulement comme un point de vue parmi une diversité d’autres cadres pertinents de savoirs et de valeurs. Des progrès sont encore nécessaires.

Relativisme ? Non, mais remplacer vrai par réfutable

Reconnaître la valeur de l’expérience, du savoir et même du point de vue (sur les valeurs communes, le future désirable…) de chacun ne signifie aucunement valider des jugements erronés. Au contraire, valoriser la diversité signifie ici d’amener chaque opinion à s’exprimer sous une forme logique et structurée, donc pouvant être sereinement débattue …ce qui se fait tout simplement, en amenant les participants à introduire sous cette forme, via le jeu, leur opinion : en effet, une règle de jeu doit pouvoir être exprimée sous une forme dont les autres joueurs sont capables de valider la logique, même s’ils n’ont pas le même point de vue.

Par conséquent, le simple processus de transformation en règles de jeu donne l’opportunité de mettre de façon égalitaire mais rigoureuse diverses opinions et connaissances, tout en excluant celles qui ne sont pas suffisamment argumentées… qu’ils soient le fait d’acteurs locaux, de scientifiques ou de décideurs…La rigueur scientifique plutôt que la vérité des scientifiques.

Une science « après » le développement ?

Lancer efficacement une dynamique locale autonome signifie d’abord de ne pas insérer de connaissance scientifique « externe » tant que les participants ne la sollicite pas, au cours de leur processus continu de diagnostic autonome. Mais cela implique aussi de ne pas identifier de programme précis d’appui scientifique avant que le besoin n’en soit identifié… par les participants.

Au cours de l’accompagnement Grounded Changes (sessions de jeu puis mises en œuvre autonome de leurs résolutions), progressivement les participants façonnent, testent, approfondissent leurs idées, et améliorent leurs actions. À certaines des étapes de ce processus, ils vont ressentir un manque de connaissance : soit cette connaissance est déjà disponible et peut être fournie, soit ce n’est pas le cas et de nouveaux programmes scientifiques qui sont pertinents localement peuvent ainsi être lancés.

En terme de Recherche pour le Développement, cela signifierait de débuter tout programme d’abord par l’installation d’une dynamique locale autonome avant toute définition de programme de recherche, et donc d’accepter de reporter cette définition précise après le début du projet… Difficile à insérer dans les cadres habituels de programmation de la recherche, mais, pourtant, la seule façon pertinente de développer une recherche pour le développement.

Vers un langage commun entre une diversité de points de vue ?

Le but ultime de TerriStories est de parvenir à terme à fournir des éléments de communication assez génériques pour permettre à tout un chacun, quelle que soit sa culture, sa façon de penser et ses aspirations, d’exprimer ses visions raisonnées du monde et de comprendre et reconnaître celles des autres.L’outil de dialogue idéal est celui qui rassemblera les différentes formes d’expression des savoirs et des points de vue de par le monde et sur le monde : expression orale sous toutes ses formes, expression corporelle et visuelle (couleurs, formes), et la structuration logique de l’expression scientifique… autrement dit, un jeu.…Amener des joueurs de diverses régions du monde à partager et renforcer leurs positions, sur la façon dont le monde devrait marcher.